Je ne connais l’oeuvre de H.P. Lovecraft que de manière très superficielle – la créature de Chtulu dans son incarnation originelle verte tentaculaire terrifiante ou dans ses incarnations humoristiques (dont une, très drôle, dans la saison The Devil’s Playhouse du jeu d’aventure Sam and Max Save the World, une des grandes réussites du studio Telltale Games avant qu’il ne fasse un Titanic de lui-même en perdant la boule1).
Bref, des monstres tentaculaires sortis de l’enfer, de l’horreur corporelle, et la menace permanente de perdre la raison (le narrateur douteux étant une pierre angulaire de ses récits) sont des éléments constants chez lui.
Loin d’être un auteur relégué aux oubliettes, ses concepts et son univers glauque (et vert?) sont encore omniprésents aujourd’hui. Tout aussi étrange, je suis plongé en ce moment dans plusieurs environnements qui sont en descendance directe quand ce ne sont pas des récits campés directement dans son monde !
1ce genre d’implosion est le sujet du livre Press Reset, de Jason Schneier, qui est maintenant dans la pile de mes trucs à lire, son précédent ayant été fort révélateur.
Balado : Welcome to Night Vale

Welcome to Night Vale, un balado qui dure depuis 2012, présente une petite ville quelque part où y’a des choses bizarres qui se passent – des pyramides étranges qui apparaissent et émettent des slogans étrange, un conseil de ville dont les buts ne sont pas très clairs, des personnages typés et croches (old woman Josie, John Peters – you know, the farmer ?, the Apache Tracker, etc), des entités dont il ne faut parler (et auxquelles il ne faut même pas penser), et autres. Avec une bonne dose de situations absurdes à la Douglas Adams ou Terry Pratchett, c’est absolument mon genre d’artéfact culturel.

Le tout campé dans une émission de radio d’affaires publiques présentée par un narrateur sans nom, joué avec brio par le comédien Cecil Baldwin, qui, avec son timbre de voix calme et posé, passe à travers le tordeur que sont les événements surnaturels remplis de créatures et de portails inter-dimensionnels qui occupent les jours de Night Vale.
J’avais tenté de suivre le balado il y a quelques années, mais l’efficacité du théâtre sonore de la série me donnait carrément la frousse. J’ai renoué avec elle depuis quelques semaines, et j’en suis profondément mordu. Profondément. Mor-du. L’absurdité comique qui côtoie les ombres menaçantes, les créatures jurassiques, les civilisations inconnues… et qui se renouvelle constamment depuis presque 200 épisodes maintenant !
Même si la formule se répète au fil des épisodes et que les personnages reviennent, les situations étranges, les comportements des (légers) personnages et les réactions de Cecil mènent quand même parfois à réfléchir sur les interactions que l’on a avec les gens autour de nous ; sur la capacité de l’être humain à se choquer pour un rien et en même temps à ignorer des ignominies grosses-comme-le-bras. Certaines situations tirent à bout portant sur les clichés, d’autres se vautrent dedans mais toutes, au final, laisse un fond perplexe qui, parfois, se repointe quelques jours plus tard dans un autre contexte de la vie ordinaire et souligne des contradictions courantes qui nous auraient autrement échappé.
… sans parler de leurs tournées (pré-COVID) où le feuilleton radio-lado se passe sur scène !
Fortement conseillé comme évasion mentale – disponible sur toutes les plateformes de balado (Pocket Casts est mon choix).
Et si vous en voulez plus, Joseph Fink, l’auteur de la série, a aussi publié le roman Alice isn’t Dead, où on y nage vraiment dans le Twilight Zone-avec-beubittes. J’ai bien aimé aussi.
Mais je suis moins sûr des romans publiés qui sont censés se dérouler dans l’univers de Night Vale. Le gag derrière cet univers étrange est que rien ne reste jamais bien longtemps, aussi terrible et traumatisant que ce puisse être.
Sérié “télévisuelle”: The Kirlian Frequency, Netflix

Utilisant un concept très très similaire (un animateur de radio, seul dans son studio, raconte à ses auditeurs les (més)aventures de certains de ses concitoyens), la (très colorée) série argentine The Kirlian Frequency est fascinante. À la différence de Night Vale, où le narrateur semble dans le même bateau que ses auditeurs, parfois médusé par ce qu’il raconte tout autant que nous, l’animateur de Kirlian, que l’on nous montre comme une ombre profonde contrastant avec son contexte visuel, n’est définitivement pas du même monde que nous. Des histoires étranges, dangereuses, voire même sanguinolentes. L’horreur est plus corporelle, ici – zombies, vampires et autres. Mais l’élément surnaturel et les personnages qui relatent leurs histoires via sa ligne ouverte sont souvent des narrateurs douteux, dont on doute de la fiabilité.
Le travail d’animation est splendide, la conception sonore aussi. Le montage est rapide et efficace, et des clins d’œil attendent les fans du genre. Très réussi.
Je n’en suis encore qu’au troisième épisode, mais je suis déjà très emballé.
Jeu vidéo : Call of Chtulu

Difficile de faire plus direct que celui-là ; Call of Chtulu est un jeu d’aventure à la première personne ; on déambule, sous les traits d’un détective de l’occulte un peu craqué nommé Edward Pierce, dans un univers directement tiré de Lovecraft (teinté de vert!), en quête d’une explication à la mort de Sarah Hawkins, artiste tordue dont le père cherche désespérément à regagner la réputation, post-mortem.
Y’a pas de monstres à combattre, ce n’est pas un monde ouvert. Ça se rapproche plus du jeu d’exploration par indices à la Layers of Fear, et c’est très bien comme ça. Les acteurs prêtent un grand niveau de réalisme au récit, la direction artistique insuffle une attention aux détails constante et le rythme est quand même soutenu.
Le rendu des personnages humains, qui est toujours un peu le talon d’Achille des jeux comme celui-ci, c’est-à-dire ambitieux mais n’étant visiblement pas dotés du budget d’un Assassin’s Creed, reste dans la liberté artistique et c’est tant mieux – ça tient plus du dessin animé, ce qui rend la facture visuelle cohérente.
Les critiques ont raillés sur le système de “progression” par points qui, selon eux, ne sert pas à grand chose et n’ajoute que très peu au final. C’est probablement vrai, et on aurait pu s’en passer. Mais les interruptions associées à celui-ci ne sont pas assez fréquentes pour nuire à l’expérience en général.
Pour peu que l’on comprenne bien que l’on a affaire ici à un film interactif dans la trempe des créations du studio Quantic Dreams (sans en posséder la profondeur humaine et la virtuosité technique) et que l’on gère ses attentes, le résultat offre plusieurs heures d’immersion dans un univers somme toute prenant. Y’a pas que les AAA qui peuvent être bien, dans la vie.
J’attends toujours The Sinking City (du studio Frogwares), coincé dans une (très poche) bataille judiciaire, à un prix raisonnable, sur PC (oui, je suis radin).