Je ne me sou­viens pas du moment où Blade Run­ner est entré dans ma vie, mais je sais que le mythos, la phi­lo­so­phie, l’at­mo­sphère étouf­fante et la vis­cé­ra­li­té de l’œuvre se sont sou­dés à ma colonne ver­té­brale durant ma jeu­nesse, ce qui fait que j’ai l’im­pres­sion d’y avoir tou­jours été connecté.

Le film, consi­dé­ré comme un des plus grands films de science-fic­tion de tous les temps, et qui se décline en une plé­thore de ver­sions dû à son his­toire com­plexe et tor­due (racon­tée avec brio dans l’es­sai-qui-dure-depuis-40-ans Future Noire : The making of Blade Run­ner – dont j’ai rem­pla­cé ma ver­sion ori­gi­nale papier par l’é­di­tion aug­men­tée en numé­rique il y a quelques années), fait par­tie des bases de ma vision du monde, maintenant.

Ses réflexions sur l’eu­gé­nisme abso­lu, la fatigue urbaine, l’a­bou­tis­se­ment de la des­truc­tion cli­ma­tique, l’en­tas­se­ment des indi­vi­dus et l’é­ven­tuelle domi­na­tion asia­tique (!) en ont fait un objet dont la com­pré­hen­sion m’a échap­pé jus­qu’à l’âge adulte.

Son monde sale, épui­sé, morne, dur et misan­thrope (sans comp­ter miso­gyne) m’a com­plè­te­ment aspiré.

Sa suite, Blade Run­ner 2049, construite de main de maître par notre ado­ré Denis Vil­le­neuve, avait opté pour un peu moins de cette sale­té – peut-être dû aux avan­cées tech­no­lo­giques qui lui ont fait évi­ter la pel­li­cule, lui don­nant une allure un peu plus léchée que son pré­dé­ces­seur. Il me fal­lut plus d’un vision­ne­ment pour fina­le­ment m’ou­vrir à son génie, au pro­lon­ge­ment natu­rel, logique et tout-à-fait à pro­pos dans l’u­ni­vers de Rid­ley Scott/Hampton Fancher/Philip K. Dick. Un film extraordinaire. 

L’ef­fort de pro­lon­ge­ment est com­plet, la sor­tie sur Blu-Ray de 2049 étant accom­pa­gnée d’une série de courts-métrages fort réus­sis qui per­mettent à la toile du film de prendre de l’ex­pan­sion et pré­sentent de nou­veaux moments clés dans l’his­toire de BR (dont, entre autres, le Bla­ckout de 2022).

La tri­lo­gie de romans gra­phiques Blade Run­ner 2019 tente de s’y insé­rer elle aus­si, avec une saga qui se déplie sur une période recu­lant jus­qu’en 2000 et se ter­mi­nant quelque part post-bla­ckout. Le choix de l’an 2019 rend le récit contem­po­rain aux aven­tures de Deckard, mais dans une autre sec­tion de Los Angeles dont les forces de Blade Run­ners ne recoupent pas nos vieux copains Bryant et ses potes.

On y sent le désir de s’im­bri­quer dans le canon BR, jus­qu’à inclure des réfé­rences très claires aux courts-métrages et à impli­quer direc­te­ment des indi­vi­dus pivots tirés de la mytho­lo­gie originale.

Mais le ton est très dif­fé­rent. D’au­tant du point de vue visuel (éton­nam­ment, une conti­nui­té très forte est main­te­nue bien que les divers comics qui la com­posent soient le résul­tat de tra­vail de plu­sieurs artistes) que du point de vue nar­ra­tif, la domi­nance du film noir est mise de côté, pour évo­quer une atmo­sphère qui res­semble étran­ge­ment à celle de Madi, le film-deve­nu-roman-gra­phique de Dun­can Jones, pla­cé dans l’u­ni­vers de son extra­or­di­naire film Moon. Dans les deux cas, le contexte res­semble plus à un récit de guerre qu’à une longue introspection.

Pour­tant, c’é­tait là la force des deux genèses ; Blade Run­ner avec son Deckard fati­gué, usé à la corde, cynique et nihi­liste, Moon avec son Sam Bell confus et naïf qui se casse le den­tier en décou­vrant la dure réa­li­té. La puis­sance des deux œuvres tenait gran­de­ment au choc de leur pro­ta­go­nistes devant la fra­gi­li­té de la vie et la défi­ni­tion même de ce qui nous rend humains.

Dans le cas du roman gra­phique, ici, cette dimen­sion est com­plè­te­ment occul­tée en faveur d’une his­toire de détective/policière qui tente de pro­té­ger un enfant à tout prix. Le rythme, au final, semble tom­ber dans une dyna­mique simi­laire à celle de la série The Wal­king Dead : secret décou­vert / confron­ta­tion / baffes / recul / recherche … et ain­si de suite. 

Ça étonne au début, et la fas­ci­na­tion de revoir les per­son­nages, les envi­ron­ne­ments et les élé­ments fami­liers (spin­ners, etc) est plai­sante au point de se lais­ser empor­ter par le visuel. Mais dès le début du deuxième volume, le fil devient ténu, l’in­té­rêt se fane. Et le troi­sième et der­nier volume plombe la série en livrant une his­toire éparse, qui, au final, joue sur les fla­sh­backs un peu trop fort, qui entoure le per­son­nage prin­ci­pal d’in­di­vi­dus car­tons, peu défi­nis, que l’on voit très rapi­de­ment et qui dis­pa­raissent par la suite, jetés à la cor­beille et jetables de par leur construc­tion. Et ce trou de 8 ans, qui est cen­sé nous rendre le per­son­nage prin­ci­pal plus atta­chant et nous faire com­prendre que le conflit humain/replicant per­dure et per­du­re­ra, devient plu­tôt une ellipse inutile. On aurait plu­tôt vou­lu que la série nous pré­sente cette qua­si-décade qui se déroule dans l’Off-world pour la pro­ta­go­niste, puisque nous n’y sommes pas encore allés !

Les chan­ge­ments de tons et l’al­ter­nance scène de baffes / scènes d’ex­po­si­tions deviennent lourds et étour­dis­sants, nous lais­sant au final avec une impres­sion de vide ; certes, on vient de pas­ser des moments dans le monde de Blade Run­ner, mais contrai­re­ment à 2049, on n’y a rien appris. On n’est pas plus avan­cé sur la psy­ché de Tyrell ou même sur la psy­cho­lo­gie des Blade Run­ners en soit. Deux sujets dont 2049 s’est gran­de­ment préoccupé.

Ça donne l’im­pres­sion d’une dérive très George Lucas ; une ten­ta­tive de créer une saga plus grande, mais qui au final en perd la saveur.

C’est donc un effort décevant -

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