Des guer­riers qui n’ont pas eu peur de défendre un principe

Ça prend tou­jours des pion­niers pour chan­ger les choses ; des indi­vi­dus qui croient tel­le­ment en leur vision qu’ils sont prêts à en baver pour avoir jus­tice. Nega­tiv­land, groupe de col­lage sonore expé­ri­men­tal hau­te­ment cri­tique et nova­teur, sont de ceux-là ; du moins ce qu’en montre une cer­taine ver­sion des faits. Ils ont un côté tel­le­ment cloune qu’on n’est pas tou­jours cer­tain de tout savoir.

L’im­por­tant, c’est qu’ils ont ouvert la boîte de Pan­dore de la ges­tion légale et com­mer­ciale de l’é­chan­tillon­nage sonore, prin­cipe de base du recy­clage musi­cal qui sous-tend toute la musique Hip Hop – eh oui, y’a eu un temps où les Will Smith de ce monde n’au­raient pas pu exis­ter de manière légale.

L’his­toire courte : les bons­hommes tombent sur une cas­sette audio qui cir­cule depuis long­temps sur laquelle on retrouve l’a­ni­ma­teur hyper-connu Casey Kasem qui, hors d’ondes, sort des ses gonds alors qu’il pré­sente le nou­veau titre d’un petit groupe irlan­dais pas connu (U2) en finis­sant par s’é­crier “and these guys are from England and who gives a shit!”. C’est pas sans rap­pe­ler la cas­sette simi­laire qui a fait le tour du Qué­bec après avoir trans­per­cé les ondes publiques via Nor­mand Brai­th­waite, enre­gis­tre­ment qui pre­nait sur le fait un Gilles Proulx com­plè­te­ment hors de contrôle.

Bref, les gars trouvent ça drôle, décident de se taper un col­lage sonore débile incluant une ver­sion au gazou de “I still haven’t found what I’m loo­king for”, inti­tulent le truc “These guys are from England and who gives a shit” et attachent le tout dans un paquet cadeau qu’ils ont la brillante (du point de vue théo­rique) idée d’ap­pe­ler U2. En réfé­rence, bien sûr, à l’a­vion de chasse d’où le groupe irlan­dais a tiré son nom. His­toire d’en faire un gros truc méta sur la réuti­li­sa­tion cultu­relle dans une optique per­son­nelle. De plus que le U2 (l’a­vion) était un plan mili­taire secret qui a mal tour­né alors que le vol ini­tial a fait défaut, que le pilote a été cap­tu­ré et que les amé­ri­cains se sont mis à racon­ter des bali­vernes pour cacher le tout. C’est l’as­pect des bali­vernes qui résonne dans ce qui suit.

Et, coup d’ab­surde final, la galette se mérite une pochette où le défi cultu­rel est com­plet – c’est le titre de l’al­bum, U2, qui appa­raît en gros, avec le nom de Nega­tiv­land en petit en-des­sous. L’in­verse de ce que fait le mar­ke­ting musi­cal habi­tuel­le­ment ; l’ar­tiste à l’a­vant, l’al­bum en-dessous :

U2, de Negativland
Faut le faire, quand même.

Bref, ça se pense comique et médi­ta­tif à la fois, ils en font impri­mer quelques mil­liers de copies et les envoient chez des dis­quaires indé­pen­dant. C’est baveux et ça pousse l’en­ve­loppe, mais c’est un com­men­taire culture assez incisif.

Et c’est là que ça foire. Comble du mal­heur, U2 a ter­mi­né son der­nier album et on s’ac­tive à le sor­tir dans les semaines qui suivent ! Island Records, qui a endis­qué U2, s’empare des tri­bu­naux comme des sau­vages. Pas de lettre qui les intime de reti­rer l’al­bum pour en chan­ger la pochette afin de cla­ri­fier la situa­tion. Une pour­suite mes­quine, énorme et déré­glée, qui exige le contrôle de toutes les recettes, la des­truc­tion de toutes les copies exis­tantes, etc. Aucune négo­cia­tion pos­sible, aucune grâce. La mai­son décide d’en­voyer un mes­sage trop dur, trop fort. 

Le meilleur bout de ladite pour­suite, c’est l’ar­gu­ment avan­cé par la mai­son de disque qui dit que les fans de U2 seront inca­pable de détec­ter que U2/Negativland n’est pas le nou­vel album du super groupe, et que par consé­quent la seule inten­tion de nos far­fe­lus est de frau­der la mai­son de disque en leur volant du reve­nu. Parce que, bien sûr, l’art n’est qu’à pro­pos de ça. Sans cash, aucune rai­son d’être, non ?

Ça me fait pen­ser à l’ar­ticle récent de Pierre For­tin dans l’Ac­tua­li­té, auquel je me suis sen­ti inti­mé de ripos­ter. Parce qu’é­vi­dem­ment, sans pro­fit, la culture n’a aucune valeur.

J’ai ter­mi­né récem­ment le livre The His­to­ry of the Let­ter U and the Nume­ral 2, qui raconte leur his­toire. Bon, c’est leur ver­sion de l’his­toire, et ce sont des clowns, ce qui pour­rait les trans­for­mer en nar­ra­teurs pas fiables, mais si on regarde la période durant laquelle ça se passe, c’est logique. Et leur fas­ci­cule, quand même impo­sant, col­lec­tionne effi­ca­ce­ment les arté­facts asso­ciés, autant légaux que publiés, ce qui leur donne à tout le moins une patine d’authenticité.

C’est une his­toire qui demeure d’ac­tua­li­té aujourd’­hui. Avec les cas de War­ner Bro­thers en chasse à “Hap­py Bir­th­day” dans des clips pri­vés sur You­Tube et les méca­niques de demande auto­ma­tique de retrait de conte­nu pour cause de droits d’au­teur (jus­qu’à la débi­li­té – War­ner, encore!), la paro­die et le domaine public sont tou­jours sous attaque constante.

Les stu­dios vou­draient dont ben qu’on leur donne de l’argent dès qu’un truc qui leur appar­tient (et c’est là le noeud de l’af­faire – les créa­tions artis­tiques sont rare­ment sous le contrôle des créa­teurs eux-même) nous passe par l’es­prit, his­toire de garan­tir leurs grosses mai­sons et leur grosses voi­tures. Yark.

Ridi­cule.

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