De prime abord, c’est intriguant : le premier film de vampire iranien, qui de plus emprunte au Western, et se pare de noir-et-blanc. Et qui compte Elijah Wood parmi ses producteurs (oui, oui, monsieur-Frodo-je-fais-dans-l’horreur-maintenant).
Et quelle surprise que ce film. Ô combien de couches à peler et de symbolisme à digérer. Et c’est pas une mauvaise chose du tout.
C’est pas tous les jours qu’on nous raconte une histoire féministe et féminine, une vraie. Le film est ancrée par la vampire titulaire, stoïque, silencieuse (mais qui cache un côté sadique et efficace), effacée. Une fille qui vit dans l’ombre des autres, qui dévore leur corps et leur vie, et qui en intègre un peu (elle acquiert toujours un totem quelconque des individus qu’elle trucide). Une femme dont la vie est longue et tranquille mais aussi remplie de tristesse et de mélancolie, parce qu’aucun humain ne dure dans son monde, ils ne sont là que pour sa subsistance. Un personnage qui existe parce qu’il existe, point. C’est d’abord et avant tout son histoire qu’on raconte.
Cette mélancolie de vivre, une des horreurs traitée dans le film, n’est pas sans rappeler la lassitude du Only Lovers Left Alive de Jarmusch. Sauf qu’au lieu de nous montrer deux individus qui n’en peuvent plus de ne plus rien découvrir, Ana Lily Amirpour fait le pari de nous présenter une sorte d’émancipation, de sortie de l’impasse pour sa vampire.
Parce que sa vampire, elle va croiser un beau bonhomme qui lui aussi est las de sa situation qui semble sans issue ; coincé à vivre avec un père toxicomane qui n’existe que pour ses souvenirs, le beau gosse de l’histoire est laissé à lui-même et finit même victime de la déchéance de son père, qui lui coûte sa flamboyante nouvelle voiture.
Les circonstances étant ce qu’elle sont, le beau gosse va croiser notre vampire à travers le dealer de son père qui a lui chipé sa bagnole, puisque que le taré (qui ressemble étrangement à la moitié masculine du duo Africain Die Antwoord) tombera sous les crocs de cette fille/femme/gamine (son voile allongé en cap lui conférant une allure inédite et déstabilisante), cette force destructrice installée dans un corps gauche pas tout à fait assumé. Pas de vampire suave à la Bela Lugosi, encore moins rockstar à la Tom Hiddleston.
À travers une trame narrative plutôt simple et quelques personnages un peu légers – l’état du père est expliqué de manière quelque peu malhabile et la vision de Bad City, la ville fictive qui entoure cette histoire me semble sauvage et réductrice – le duo vampire/beau gosse va trouver une fuite vers l’avant du poids de leur existence. Une espèce de déraillement de train contrôlé qui va les mener vers le bonheur.
D’abord et avant tout un (époustouflant) exercice de style, c’est un écrin de velours tout en contraste et en douceur, ce qui n’est pas si simple à réaliser. La direction photo est puissante ; le noir et gris (parce que le film ne se rend jamais à l’agressivité des extrêmes de l’argentique et reste dans une grisaille et des noirs volontairement bouchés qui, mariés à la sensibilité de l’équipement moderne, donne un résultat feutré et sensuel à la fois) et la lumière sont maniés de main de maître. Les compositions (qui évoquent plus de la photographie en mouvement que du cinéma comme on le connaît) sont tantôt intimistes et serrées, tantôt vastes et étouffantes.
Les images sont féminines et chargées de sensualité (sans être toujours érotiques). Les dialogues (très espacés) le sont aussi ; l’échange entre la vampire et la prostituée, qui rendrait Alison Bechdel fière, est digne du plus grand face-à-face entre cowboys dans leur porte de saloon respective, mais se déroule tout doucement, dans la même pièce, sans se faire face. La vampire dénude complètement la prostituée en déballant tous ses secrets sous ses yeux, comme si elle était totalement transparente – une autre solitude qui s’étend sous nos yeux, détaillé par celle qui, on s’imagine bien, en connaît long sur le sujet.
Mais tout reste toujours en douceur. La violence qui emprisonne les personnage et celle qui sera forcément nécessaire pour les en sortir reste toujours couverte d’un voile de tristesse immense, d’inévitable mélancolique.
Certains symboles, tel l’image de la prostituée qui, fuyant le site d’un méfait dû à une méprise, passe devant une voiture complètement détruite en arrière plan (flouté, bien sûr), nous montre bien que ce qui reste de sa vie est un véritable accident, sont mieux camouflés que d’autres (le gros plan sur le piston industriel qui ralentit et s’arrête pour annoncer la chute est un peu grossier), mais le film reste une admirable symbiose entre symbolisme, plans contemplatifs et mécanismes narratifs.
Au final, cette douceur et la lenteur qui l’accompagnent finissent peut-être par être le talon d’Achille du film. Il en met plein la vue, certes, mais on en reste sur notre faim, nous aussi ; on aurait voulu peut-être un peu plus de substance et de contexte plutôt que de belles images.
Et… c’est moi ou le poster de Madonna, dans la chambre vampiresque, c’est pas un vrai ? Si c’est le cas, ça serait un autre beau symbole du fait que la vampire tente tant bien que mal d’imiter les humains, jusqu’à calquer leurs goûts et habitudes, sans vraiment y parvenir, et ce serait joliment réussi.
Vu sur Tubi.